La crypte, première flash fiction fantastique
Le vagabond posa une main décharnée aux ongles jaunis par le temps sur l'imposante poignée de porte et entra dans la paroisse. Il n'y avait plus âme qui vive dans les parages, prêtres et fidèles étant rentrés chez eux depuis longtemps. Tout était parfait.
Il arpenta lentement l'allée principale, se dirigeant vers le centre de ce lieu saint. L'autel consacré était entièrement fait de marbre blanc et des gravures narrant la création du monde ornaient ses différentes faces. L'homme appuya sa paume quelque part sur la lithographie. Un cliquetis sourd se fit entendre et une dalle derrière l'autel se mit à bouger, dévoilant un escalier en colimaçon poussiéreux. Des cierges répandant un halo ambré accompagnaient le spectacle. Il saisit l'un d'entre eux et s'aventura à l'intérieur des catacombes.
Il avançait à présent rapidement à travers les boyaux bordées de tombes plusieurs fois centenaires, chacun de ses pas faisant virevolter une couche épaisse de vieilles poussières qui ricochait contre les murs. Soudain, il s'arrêta net face à une pierre tombale. Le vieil homme caressa du bout de ses doigts flétris l'épitaphe avant de pousser de toutes ses forces le lourd couvercle recouvrant le sarcophage. Le frottement de la dalle provoqua un bruit tonitruant qui donnait presque une ambiance apocalyptique à la scène. Une ouverture d'une vingtaine de centimètres suffit à le stupéfier. Il s'essuya rapidement le front et passa ensuite lentement, très lentement, sa tête par-dessus l'orifice.
Le rôdeur resta médusé un court instant. L'objet de sa convoitise était donc toujours là, personne n'était venu s'en emparer. Un carcasse humaine, rongée jusqu'aux os par les vers, occupait la tombe portant le numéro 73. Elle n'était pas la seule d'ailleurs : surprise par cette intrusion, une famille de rats qui avaient élu domicile à l'intérieur de la cage thoracique du macchabée plia bagages. Contre sa poitrine gisait solennellement un épais grimoire. L'homme s'en empara prestement, détruisant au passage le logement des rongeurs. D'un revers de main, il balaya la poussière qui s'y était accumulée, dévoilant ainsi une couverture faite de cuire noir décorée de pictogrammes dorés venu tout droit d'un autre temps. C'était indubitablement un ouvrage très ancien. Quelque chose de sinistre se dégageait de lui. Un sourire révélant une panoplie de dents gangrenées par les caries s'imprima sur le visage du vieil homme.
Un bruit singulier vint troubler la jubilation du brigand : un inquiétant craquement provenant du plafond résonna à travers toute la galerie. Il resta figé durant de longues secondes, retenant son souffle comme si la suite des évènements dépendraient des quelques bouffées qu'il libérerait en expirant. Ses yeux ternes s'élevèrent doucement vers la source de ses inquiétudes. Non loin de sa tête, une fine lézarde laissait s'écouler doucement un sable lourd et dense. Les catacombes, ouvrage destiner à accueillir les corps des soldats morts sur le champ de bataille, avaient été réalisées il y a des siècles déjà. Étonnant en fin de compte qu'elles soient encore debout après autant de temps. Arrivé à court d'oxygène, le vieil homme écarta les lèvres fébrilement pour pouvoir respirer. « Du calme ! » se répétait-il. Sa destinée était maintenant tracée et il ne pouvait pas se permettre de mourir ainsi. Il sillonna la galerie à pas feutrés. Arrivé à mi-chemin, un autre craquement se fit entendre. La lézarde venait de s'élargir. Des débris commencèrent à tomber du plafond. Le vagabond comprit que les catacombes ne tiendraient pas une nuit de plus. Il prit la fuite, le livre serré sous une aisselle et le cierge brandi en avant. À présent, le sol tremblait littéralement et des pans entiers de murs s'écroulaient après son passage. Dopé par la peur, il courait à toute allure ; retrouvant rapidité et dextérité, souvenirs d'une jeunesse révolue. Il manqua de peu de se faire ensevelir sous des gravats à plusieurs reprises, mais réussit finalement à retrouver la sortie.
De retour dans l'église, il se rua vers l'extérieur pour finir sa course en dehors du cimetière. Par-delà les grillages, il vit la terre s'éventrer et avaler tout bonnement la paroisse. Il était sauvé. Reprenant son souffle, il semblait se demander si tout cela n'était qu'un malheureux hasard ou bien un signe du destin. Cela n'avait finalement que bien peu d'importance car il avait maintenant un long chemin qui l'attendait ... Il s'éloigna paisiblement alors dans la brume.